Réseau vs autonomie, la fin d’un mythe

Le réseau, c'est quoi?

Le mot réseau provient du latin retris, signifiant filet. Ainsi, son champ lexical s’apparente à celui de la captivité, on peut y dénombrer 3 catégories de réseaux techniques différents:

  • Les transports, qui concernent la mobilité, le déplacement, et sont appelés différemment en fonction du milieu dans lequel ils se développent (ferroviaires, maritimes, routiers, aériens…).
  • L’information et la communication, qui regroupent les canaux multimédias et servent à communiquer entre nous ( téléphonie, informatique…).
  • Les énergies et ressources, englobant les travaux de gestion de l’eau et d’assainissement, mais aussi du gaz, de la vapeur, de l’électricité.., qui sont au coeur des grandes remises en question contemporaines.

L'histoire des connections

A l’origine, le réseau servait pour qualifier des ensembles de tissus, de fibres dont les formes faisaient référence à celles présentes dans la nature. Par la suite, et avec le développement des sciences anatomiques, il est employé pour démontrer la complexité du corps humain et du fonctionnement de ses connections. Le plus parlant est sans conteste le réseau sanguin, qui connecte les organes entre eux et caractérisé par de multiples embranchements. Il distribue et ordonne.

La mobilité comme enjeu de développement territorial

L’un des premiers réseaux techniques territoriaux à s’être développé parmi ceux présentés plus tot est celui des transports. La gestion des flux a toujours été une marque de pouvoir, une preuve de puissance, permettant le développement des cités. En effet, dès l’Antiquité, les colons ont compris que contrôler une ville portuaire permettait de gérer les flux entrants et sortants, et ainsi, disposer d’une place influente dans le réseautage établi. Ce positionnement stratégique leur a valu d’augmenter leur autorité et permettre ainsi une expansion de la cité.

De la propriété individuelle à l'usage collectif

Au XIVe siècle, se développe en Europe la notion d’espace public. Cependant, moins d’un siècle plus tard, les biens publics se sont vus progressivement appropriés par l’état souverain. Au vu du contexte socio-économique du XIXe siècle, certains penseurs tels que Jean-Baptiste André Godin s’inquiètent des conditions de vie des ouvriers. Ce dernier, poursuivant les intentions de son prédécesseur Charles Fourier, souhaite offrir une meilleure qualité de vie aux travailleurs de son entreprise. C’est dans cette optique qu’il érige le familistère de Guise (un article paraîtra incessamment pour découvrir davantage les secrets de ce palais sociétaire). Un des principes fondamentaux repose sur  « les équivalents de la richesse », un système selon lequel, l’être humain n’est pas obligé de posséder une chose pour pouvoir en profiter. Il souhaite que leur niveau de vie soit similaire à celui que s’achètent les bourgeois, mais sans avoir à dépenser pour en jouir. Ce sont les avantages du collectif.

La cité cablée

Par la suite, de plus en plus de réseaux ont vu le jour au sein des villes. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, certains architectes et ingénieurs, comme par exemple Pierre Patte, réfléchissent à l’amélioration de la salubrité des villes. Celles-ci sont caractérisées par un système d’approvisionnement en eau et de son évacuation une fois usée, par la création d’égouts. Il faudra cependant attendre un peu avant que de tels travaux soient entrepris et desservent l’entièreté de la population. L’un des systèmes les plus connus dans le monde de l’urbanisme concerne l’élaboration du plan général d’assainissement de la ville de Paris, entrepris par le baron Eugène Hausmann. Entre la fin du XIXe et la Première Guerre mondiale, grâce aux progrès effectués en matière technique, d’autres réseaux voient le jour. Après l’eau, c’est au tour de l’électricité et du gaz d’être distribués. C’est aussi à cette période que la communication prend de l’importance en déployant des liaisons téléphoniques et télégraphiques. Si dans un premier temps, les réseaux s’exprimaient principalement sous terre (canalisation, égout…), d’autres, tels que les câblages électriques finirent par sortir de terre et tisser des toiles entre les rues. De nombreux inventeurs tentèrent de schématiser la manière dont le sol, traversé de canalisations et de tuyaux pourrait servir de berceau à tout type de flux. Parmi les représentations les plus connues, on trouve  »Le Sol de Paris » de Albert Robida » (Illustration 1)

 

Illustration 1: Le sol de Paris, Albert Robida (1890)

La place des transports

Au cours de l’histoire, le réseau viaire est celui qui aura le plus marqué le paysage urbain en occupant une part de plus en plus grande de la surface terrestre. Cependant, avec les progrès techniques, d’autres modes de transport ont vu le jour, tout comme la création des voies ferrées durant la période industrielle. Ces nouvelles voies de communication inspireront même certains urbanistes dans la création de nouvelles utopies. C’est notamment le cas de la  »Cité linéaire » d’Arturo Soria Y Mata, conçue en 1882.

Tout comme les autres réseaux décrits dans le paragraphe précédent, le réseau de transport est aussi envisagé comme faisant partie intégrante du sous-sol urbain, pour libérer de l’espace à la surface ( Illustration 2 ).

Illustration 2: ''Plan et coupe de l'habitation future'', Eugène Hénard, 1910

La ville machine

Avec le déploiement du modernisme, les architectes deviennent de vrais techniciens. L’hygiène du bâtiment (air pur, équipement sanitaire, luminosité suffisante…) prend une place prépondérante et conditionne les réflexions. Les habitations deviennent alors de véritables machines reliées au réseau, symboles du confort moderne. S’inscrivant dans les travaux précédemment menés, tout cet amalgame de tuyauteries et de câbles pourtant indispensables se voit relégué en arrière-plan, caché entre les cloisons et derrière les faux plafonds. L’aspect se doit d’être impeccable, clair et net.

Politique et réseau

Nous avons vu plus tôt que dès l’Antiquité, les gestionnaires des villes ont compris l’importance de la gestion de réseau. On peut toujours observer ce phénomène à l’heure actuelle, et ce, notamment au niveau de la fourniture des énergies et des ressources. Le système centralisé possède des avantages considérables pour les politiques dans le contrôle qu’ils exercent sur la population. Cette supervision est même indispensable dans le cas d’organisations politiques socialistes tels que le communisme. Un système décentralisé et autonome empêcherait ce contrôle et renforceraient les inégalités. Cependant, ce n’est pas parce qu’un système et égalitaire qu’il est forcément équitable.

Avec la mondialisation, la production de ressources reflète la puissance et la richesse d’un pays ou d’un continent. Chaque nation vise les premières places de l’échelle mondiale, en exhibant les ressources dont elle dispose. Lors de conflits géopolitiques, comme ceux que nous avons connus récemment entre la Russie et l’Ukraine, il arrive souvent que les négociations se jouent autour de ces ressources, telles que la menace d’embargo, punissant ainsi les populations concernées.

Abondance et dépendance

Comme le démontre Fanny Lopez, le système des réseaux repose sur un paradoxe : il est à la fois symbole d’abondance, mais entraine aussi une dépendance. La connexion devient une norme sociale. Déjà à l’époque, les sociétés distributrices prétendaient que dans le cas où le service fourni coûte trop cher ou n’est pas de qualité, l’usager n’avait qu’à se déconnecter. Or, comme elle le précise,  » Le non-branchement ou le débranchement sont généralement entendus dans une acceptation d’exclusion du réseau, faisant écho à un état de précarité, de misère. La déconnexion est toujours marginalisante » (Lopez, (2014) p.77). Dans ces conditions, la déconnexion est rarement un choix. Il s’agit plutôt d’une punition, d’un échec.

Dès la fin du XIXe siècle, les chefs d’entreprises constatent que le fait de produire en masse permet de fournir à plus de foyers à prix plus bas et ainsi d’augmenter leur profit. De leur point de vue, tout le monde est gagnant. 

La fin d'un mythe : la déconnection

Comme nous avons pu le voir plus tôt, au cours des derniers siècles, la tendance s’est portée vers un développement maximal de réseaux et la mise en commun des ressources. Cependant, cette logique semble s’essouffler quelque peu. De plus en plus d’alternatives s’offrent à nous et nous poussent à devenir moins dépendants de ces réseaux, tout en conservant un niveau de vie et de confort raisonnable, voire similaire (et même parfois supérieur) à celui offert par le branchement.

La déconnection comme utopie technicienne

A l’heure actuelle, de nombreuses critiques affluent contre l’accessibilité du réseau. Les principaux arguments avancés en faveur de l’autonomie sont ceux de l’écologie et de l’économie. En effet, l’engouement de la période industrielle est retombé et le stock de ressources s’épuise sans cesse. Il semble alors inévitable de modifier nos modes de vie pour une utilisation plus parcimonieuse des énergies fossiles et polluantes, en privilégiant l’exploitation des énergies renouvelables. Face à cette nouvelle problématique, de nouveaux projets utopiques verront le jour, proposant des modes de vie en autarcie.

Technologie et nature

Pour lutter contre la dépendance aux énergies fossiles, des scientifiques cherchent à utiliser la nature en guise de solution. Cette relation peut être de deux ordres différents :

  • L’utilisation des éléments comme  »matière première », pouvant être transformée par le biais de la technique en énergie. Ainsi, l’air, en faisant tourner les pales des éoliennes, produit de l’électricité, ou bien le soleil, en rayonnant sur des panneaux solaires, fournit de la chaleur à une habitation. Ce principe est encore très répandu aujourd’hui car il constitue une solution écologique de par ses ressources inépuisables tout en restant relativement abordable.
  • L’utilisation de la nature comme modèle. Cette approche, connue sous le nom de biomimétisme, consiste à s’inspirer des processus, des structures et des systèmes complexes que l’on trouve dans le règne naturel pour concevoir des technologies plus durables, efficaces et respectueuses de l’environnement.

La technique et la nature n’entrent donc pas forcément en conflit. Elles peuvent s’inspirer l’une de l’autre pour trouver les meilleures alternatives possibles.

La contre-culture comme mouvement révélateur

Bien que des expérimentations en matière d’énergie se sont déjà développées un siècle plus tôt, il faudra tout de même attendre la fin des années 1960 pour observer les premières tentatives architecturales de déconnexion. Ainsi, le paradigme change:  »A l’architecture jetable et branchée va succéder une architecture durable et déconnectée »(Lopez (2014), p.148). Les mouvements de contre-culture qui se développent en cette fin de siècle vont dans ce sens. Ils dénoncent la société de consommation et prônent le retour au plaisir et à la nature. A tout cela s’ajoute la revendication du  »do it yourself », qui induit une volonté d’autonomie. Ce mouvement s’accompagne de la création de communautés partageant les mêmes idéaux et valeurs. C’est notamment cet élan qui a vu naitre Auroville, une cité autonome située sur le territoire indien, ou qui a inspiré Ernest Callenbach pour la réalisation de son roman Ecotopia.

Cette impulsion est le signe que la population est prête à adopter des techniques alternatives, qui germaient depuis quelques années dans la tête des penseurs. Cela peut s’expliquer par la théorie de Yona Friedman, expliquant que le changement nécessite, à la fois, une insatisfaction collective, des techniques applicables et un consentement (Ces théories sont plus amplement explicitées dans l’article ‘‘L’utopie concrète, un oxymore? »).

 

Après avoir compris tout cela, on peut en arriver à se demander quelle piste nous paraitrait la plus appropriée à suivre. Faut-il privilégier les unités plus petites, autonomes ou continuer de développer son réseau? Je pense qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, il ne faut pas toujours choisir entre l’un et l’autre mais essayer de trouver l’état qui permettait le meilleur équilibre de vie. Seul l’avenir nous dira si les choix que nous ferons seront bons…

 

Sources

  • Lopez F. (2014). Le rêve d’une déconnexion, de la maison autonome à la cité auto-énergétique. Les Éditions de la Villette